14/09/2010
La Présence et l'Image...
Que faire, eh bien, en tout cas, interroger à nouveau la poésie, que nous avons laissée tout à l'heure à cet état de tutelle où veut la tenir aujourd'hui, dès qu'il s'agit de la vérité, la philosophie du langage.
Interroger la poésie, ce qui dans ma destinée n'est d'ailleurs que la réaction la plus naturelle, puisque c'est déjà dans son expérience, au cours des années, que se sont présentées à moi les contradictions et les inquiétudes que je viens d'essayer de dire, mais aussi que se seront obstinés un espoir et une idée de l'espoir. En fait, ce que la critique a souligné, récemment, et de la place de l'inconscient dans les décisions des poètes, ceux-ci l'ont perçu les premiers, et au seuil de notre modernité, qui commença comme désagrégation de l'idée absolue du moi qu'il y avait chez les Romantiques, ils en avaient déjà fait leur préoccupation principale. L'autonomie du signifiant, Rimbaud ne l'ignorait pas quand il écrivait le sonnet Voyelles, ni Mallarmé quand il agença le Sonnet en yx. Et cet excès des mots sur le sens, ce fut bien ce qui m'attira pour ma part, quand je vins à la poésie, dans les rets de l'écriture surréaliste. Quel appel, comme d'un ciel inconnu, dans ces grappes de tropes inachevables ! Quelles énergie, semblait-il, dans ces bouillonnements imprévus de la profondeur du langage ! Mais, passée la première fascination, je n'eus pas joie à ces mots qu'on me disait libres. J'avais dans mon regard une autre évidence, nourrie par d'autres poètes, celle de l'eau qui coule, du feu qui brûle sans hâte, de l'exister quotidtien, du temps et du hasard qui en sont la seule substance, et il me sembla assez vite que les trangressions de l'automatisme étaient moins la sur-réalité souhaitable, au-delà des réalismes trop en surface de la pensée contrôlée, aux signifiés gardés fixes, qu"une paresse à poser la question du moi, dont la virtualité la plus riche est peut-être la vie comme on l'assume jour après jour, sans chimères, parmi les choses du simple.
(Extrait de "La Présence et L'image" de Yves Bonnefoy/ Mercure de France - 1983)
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