Allez les yeux invisibles vers le beau.

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16/08/2015

Sur la bêtise... (3)

citation-albert-camus-49838.png1. Indécidabilité.

Qu'est-ce que la bêtise? On peut tenter de répondre à cette question à partir de l'ensemble sémantique associé à ce mot en français. Jacques Derrida remarque que, du mot bête [utilisé pour désigner l'animal], le français n'a pas dérivé un mot qui désignerait l'essence ou l'être de la bête, du genre bêteté, comme il l'a fait pour le mot animal (animalité). Si la bêteté comme valeur abstraite valant pour la bête en général n'existe pas, les bêtes ne peuvent pas être bêtes. Dans la langue française, une personne peut être bête, un discours (c'est bête, ce qu'il dit), une action, un événement (il pleut, c'est bête, c'est ennuyeux), mais pas une bête. S'il y a un propre de la bête, il n'est pas dans le sens propre de ce mot. Entre les multiples usages idiomatiques du lexique "bête", "bêtise", la diffraction est irréductible. Aucun sens fondamental, fondateur ou univoque ne se stabilise. Nul ne peut définir la bêtise rigoureusement.

Qui est bête juge mal, c'est entendu. Mais en quoi consiste exactement ce mal? C'est impossible à dire. La bêtise est ambiguë, elle n'entre pas dans la série des schèmes ou des opérateurs logiques. C'est une catégorie indéterminée, exceptionnelle [du genre de celles que Derrida qualifie de quasi transcendantales], à laquelle on ne peut pas attribuer un sens déterminé. Flaubert, qui a tenté de la décrire dans Bouvard et Pécuchat, l'a considérée à la fois comme un tombeau et la source de l'Art. Sur la scène de la bêtise, toutes les distinctions s'abîment, rien ne fait système. La bête elle-même ne se distingue plus du souverain, ni le Quoi du Qui.

 

2. Le propre de qui ou de quoi?

Le paradoxe de ce mot, bêtise, comme celui d'un autre mot de même racine, bestialité, c'est qu'il semble se référer à l'animal, la bête, alors que dans le langage courant, une bête ne peut pas être bête, ni bestiale, seul l'homme le peut. La bête peut être violente, mais pas cruelle (comme l'homme). Mais alors pourquoi, en français, utilise-t-on justement ce mot-là, bêtise, pour désigner quelque chose comme l'idiotie ou la stupidité [ces deux derniers mots n'ayant pas exactement le même sens]? 

- (Le Qui comme comble de la bêtise). La bêtise arrive quand le propre s'autoproclame, se pose en souverain de lui-même en déniant l'autre hétérogène et inassimilable contre lequel il cherche à se protéger. Quand ce qu'on a coutume d'appeler l'homme, avec son bavardage et sa culture, revendique son autoposition, quand il impose le fantasme du propre, son ipséité, alors il est bête, et chaque fois qu'il proclame son intelligence, il ajoute un supplément de bêtise. On pourrait presque dire que c'est une définition de l'humain - quoique toute définition qui se présente comme LA définition (c'est-à-dire qui présuppose une autoposition de ce genre) soit une bêtise. S'autoposant, il faut qu'il s'oppose à la bête.

- (Le Quoi comme comble de la bêtise). Le paradoxe du personnage de Valéry, Monsieur Teste, c'est qu'il se présente comme absolument souverain, mais veut tuer en lui ce qui le menace, cette inquiétante étrangeté, la marionnette. En la condamnant à mort, il devient un automate, une mécanique. La surenchère de souveraineté conduit à une bêtise essentielle insondable, celle du Quoiou du souverain phallique.

- (Entre les deux, la différance). Entre la bête et le souverain, entre le Quoi et le Qui, il y a plus ou moins de bêtise, mais dans cet écart, dans cette différance, peut surgir autre chose. 

 

3. Accusation, jugement.

Si la bêtise est un défaut, ce n'est ni par manque de connaissance, ni par erreur, ni par illusion, ni par hallucination. Quand on en accuse quelqu'un, on le juge sans critère précis, sans savoir exactement ce qu'on dit. Il y a toujours une part d'agression, d'injure, et une part de jugement. En déclarant, par cet acte de langage, qu'Untel est privé de certaines facultés humaines, on produit un certain effet. On fait allusion à une incapacité à juger dont on peut se faire le procureur, au sens de la justesse ou de la justice, c'est-à-dire en définitive du droit (jus). 

 

4. Un acte performatif.

Le mot "bêtise", avec les usages idiomatiques dont on peut faire l'analyse en français, désignerait un lieu de non-savoir, d'intraduisibilité, où les valeurs émergent. Quand ce qu'on appelle l'animal et ce qu'on appelle l'humain sont encore indissociables [le moment où, dans la bible, Dieu laisse Adam nommer lui-même les animaux], dans une logique fabuleuse, fictionnelle, les mots prennent sens, mais ce sens n'est pas encore figé dans un système. C'est là que devrait débuter tout traité de philosophie

 

 

Derrida sur la bêtise... (Suite & Fin)

 

 

 

25/05/2015

Pensée du Jour...

Pensée,camus,écrivain,vérité,chemin,volonté,arriver,philosophie,réflexion,comprendre,savoir,connaîtreEn vérité le chemin importe peu,

la volonté d'arriver suffit à tout.

 

Albert Camus

08/11/2013

Camus... (L'absurde)

camus,absurde,l'homme,écrivain,philosophe,philosophie,réflexions,comprendre,savoir« L'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde »33. Dans cette phrase est concentrée la puissance d'un conflit, d'une confrontation qui sous-tend et emporte l'œuvre de Camus. Deux forces s'opposent : l'appel humain à connaître sa raison d'être et l'absence de réponse du milieu où il se trouve, l'homme vivant dans un monde dont il ne comprend pas le sens, dont il ignore tout, jusqu'à sa raison d'être.

L'appel humain, c'est la quête d'une cohérence, or pour Camus il n'y a pas de réponse à ce questionnement sur le sens de la vie. Tout au moins n'y a-t-il pas de réponse satisfaisante, car la seule qui pourrait satisfaire l'écrivain devrait avoir une dimension humaine : « Je ne puis comprendre qu'en termes humains »33. Ainsi les religions qui définissent nos origines, qui créent du sens, qui posent un cadre, n'offrent pas de réponse pour l'homme absurde : « Je ne sais pas si ce monde a un sens qui le dépasse. Mais je sais que je ne connais pas ce sens et qu'il m'est impossible pour le moment de le connaître. Que signifie pour moi une signification hors de ma condition ? »33. L'homme absurde n'accepte pas de perspectives divines, il veut des réponses humaines.

L'absurde n'est pas un savoir, c'est un état acquis par la confrontation consciente de deux forces. Maintenir cet état demande une lucidité et nécessite un travail, l'absurde c'est la conscience toujours maintenue d'une « fracture entre le monde et mon esprit » écrit Camus dans Le Mythe de Sisyphe. Ainsi l'homme absurde doit-il s'obstiner à ne pas écouter les prophètes (c'est-à-dire avoir assez d'imagination pour ne pas croire aveuglément à leur représentation de l'enfer ou du paradis) et à ne faire intervenir que ce qui est certain, et si rien ne l'est, « ceci du moins est une certitude »33.

L'homme absurde ne pourrait échapper à son état qu'en niant l'une des forces contradictoires qui le fait naître : trouver un sens à ce qui est ou faire taire l'appel humain.

Une manière de donner du sens serait d'accepter les religions et les dieux. Or ces derniers n'ont pas d'emprise sur l'homme absurde. L'homme absurde se sent innocent, il ne veut faire que ce qu'il comprend et « pour un esprit absurde, la raison est vaine et il n'y a rien au-delà de la raison »33.

Une autre manière de trouver du sens serait d'en injecter : faire des projets, établir des buts, et par là même croire que la vie peut se diriger. Mais à nouveau « tout cela se trouve démenti d'une façon vertigineuse par l'absurdité d'une mort possible »33. En effet, pour l'homme absurde il n'y a pas de futur, seul compte l'ici et le maintenant.

La première des deux forces contradictoires, le silence déraisonnable du monde, ne peut donc être niée. Quant à l'autre force contradictoire permettant cette confrontation dont naît l'absurde, qui est l'appel humain, la seule manière de la faire taire serait le suicide. Mais ce dernier est exclu car à sa manière « le suicide résout l'absurde »33. Or l'absurde ne doit pas se résoudre. L'absurde est générateur d'une énergie. Et ce refus du suicide, c'est l'exaltation de la vie, la passion de l'homme absurde. Ce dernier n'abdique pas, il se révolte.

 
(Source Wikipédia)