Allez les yeux invisibles vers le beau.

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08/10/2010

Le Poème du jour...

 

Unknown-6.jpegSALON MEUBLE

 

Dans le jour très sombre - de cette nuance spécialement sinistre que laissent filtrer par une après-midi d'août torride les persiennes rabattues sur une chambre mortuaire - sur les murs peints de cet enduit translucide, visqueux pour l'oeil et au toucher dur comme le verre, qui tapisse les cavernes à stalactites, une légère écharpe d'eau sans bruit, comme sur les ardoises des vespasiennes, frissonnante, moirée, douce comme de la soie. Les rigoles confluant dans un demi-jour à l'angle gauche de la pièce nourrissent avant de s'échapper une minuscule cressonnière. Côté droit, dans une grande cage de Faraday à l'épreuve des coups de foudre, jetée négligemment sur les bras d'une chaise curule comme au retour d'une promenade matinale, la toge ensanglantée de César, reconnaissable à son étiquette de musée de l'aspect sui generis de déchirures particulièrement authentiques. Une horloge suisse rustique, à deux tons, avec caille et coucou, sonnant les demies et les quarts pour le silence d'aquarium. Sur la cheminée, victimes de je ne sais quelle spécialement préméditée mise en évidence au milieu d'une profusion de bibelots beaucoup plus somptueux, un paquet de scaferlati entamé et la photographie en premier communiant (carton fort, angles abattus, tranche épaisse et dorée, travail sérieux pour familles catholiques, avec la signature du photographe) du président Sadi-Carnot. Dans la pénombre du fond du salon, un wagon de marchandises avec son échauguette, sur sa voie de garage légèrement persillée de pâquerettes et d'ombellifères, laisse suinter par sa porte entrebâillée l'étincellement d'un service en porcelaine de Sèvres, et le bel arrangement des petits verres à liqueur.

 

(Poème de Julien Gracq " Le Salon Meublé")