Allez les yeux invisibles vers le beau.

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14/11/2009

Radioscopie Jean-Paul Sartre

 

images.jpegJacques Chancel : Vous vivez au présent.

Jean-Paul Sartre : Oui bien sûr, je suis l'homme du présent. Je ne rêve pas. Cela me rappelle un mauvais écrivain qui disait ; "J'écris pour durer"... Pour lui, c'était merveilleux : J'écris pour être immortel ! Mais quelle absurdité. D'abord, on ne peut deviner qui restera et qui disparaîtra. Il faut agir sur le présent. Les grands hommes de toujours sont des gens comme Rousseau, qui vivait dans le présent, qui faisait des livres pour le présent, et non pas des gens qui écrivaient pour l'éternité.

 

Jacques Chancel : Vous ne gardez rien, votre générosité est absolue. Mais s'il fallait garder quelque chose, choisir ?

Jean-Paul Sartre : Personne ne me le demande et moi-même, je n'ai pas à choisir. En ce qui concerne mon oeuvre, d'une part je ne la récuse pas, d'autre part, j'en suis un peu détaché. Ma vie privée ? Elle a été ce qu'elle a été. Je n'ai pas à m'en détacher non plus, ni à la condamner. des camarades m'ont demandé un jour si j'étais content de ma vie et si je la referais de la même façon... J'ai répondu oui, si l'on admet les conditions au départ. Il est évident que si j'étais né cinquante ans plus tard, j'aurais fait autre chose de ma vie. Mais je suis né en 1905, et  ma famille concevait l'écrivain d'une certaine manière... comme le "grand écrivain". Mon Dieu, je suis content.

 

Jacques Chancel : Le philosophe se construit un palier d'idées et il habite une chimère, parfois une chaumière... Vous êtes ce philosophe ?

Jean-Paul Sartre : Je n'habite pas une chaumière mais un appartement qui ressemble à n'importe quel appartement. Je n'ai pas de chimères parce que précisément, je ne suis pas optimiste. De sorte que tout ce que je fais est probablement voué à l'échec, je pense, mais je le fais quand même parce qu'il faut le faire. "Libération", heureusement, ne dépend pas seulement de moi. Je peux donc espérer en lui.

(Extrait de La Radioscopie de Jean-Paul Sartre par Jacques Chancel - 7 Février 1973)

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