25/07/2013
Les grands auteurs... (5)
« (...) La bonne allume les lampes : il est à peine deux heures, mais le ciel est tout noir, elle n'y voit plus assez pour coudre. Douce lumière ; les gens sont dans les maisons, ils ont allumé aussi, sans doute. Ils lisent, ils regardent le ciel par la fenêtre. Pour eux... c'est autre chose. Ils ont vieilli autrement. Ils vivent au milieu des legs, des cadeaux et chacun de leurs meubles est un souvenir. Pendulettes, médailles, portraits, coquillages, presse-papiers, paravents, châles. Ils ont des armoires pleines de bouteilles, d'étoffes, de vieux vêtements, de journaux ; ils ont tout gardé. Le passé, c'est un luxe de propriétaire.
Où donc conserverais-je le mien ? On ne met pas son passé dans sa poche ; il faut avoir une maison pour l'y ranger. Je ne possède que mon corps ; un homme tout seul, avec son seul corps, ne peut pas arrêter les souvenirs ; ils lui passent au travers. Je ne devrais pas me plaindre : je n'ai voulu qu'être libre.(...) »
« C'est par paresse, je suppose, que le monde se ressemble d'un jour à l'autre. Aujourd'hui, il avait l'air de vouloir changer. Et alors tout, tout pouvait arriver. »
« Je pris ma plume et j'essayai de me remettre au travail ; j'en avais par-dessus la tête, de ces réflexions sur le passé, sur le présent, sur le monde. Je ne demandais qu'une chose : qu'on me laisse tranquillement achever mon livre.
Mais comme mes regards tombaient sur le bloc de feuilles blanches, je fus saisi par son aspect et je restai, la plume en l'air, à contempler ce papier éblouissant : comme il était dur et voyant, comme il était présent. Il n'y avait rien en lui que du présent. Les lettres que je venais d'y tracer n'étaient pas encore sèches et déjà elles ne m'appartenaient plus.
« On avait pris soin de répandre les bruits les plus sinistres... »
Cette phrase, je l'avais pensée, elle avait d'abord été un peu de moi-même. A présent, elle s'était gravée dans le papier, elle faisait bloc contre moi. Je ne la reconnaissais plus. Je ne pouvais même plus la repenser. Elle était là, en face de moi ; en vain y aurais-je cherché une marque d'origine. N'importe qui d'autre avait pu l'écrire. Mais moi, moi je n'étais pas sûr de l'avoir écrite. Les lettres, maintenant, ne brillaient plus, elles étaient sèches. Cela aussi avait disparu : il ne restait plus rien de leur éphémère éclat.
Je jetais un regard anxieux autour de moi : du présent, rien d'autre que du présent. Des meubles légers et solides, encroûtés dans leur présent, une table, un lit, une armoire à glace – et moi-même. La vraie nature du présent se dévoilait : il était ce qui existe, et tout ce qui n'étais pas présent n'existait pas. Le passé n'existait pas. Pas du tout. Ni dans les choses, ni même dans ma pensée. Certes, depuis longtemps, j'avais compris que le mien m'avait échappé. Mais je croyais, jusqu'alors, qu'il s'était simplement retiré hors de ma portée. Pour moi le passé n'était qu'une mise à la retraite : c'était une autre manière d'exister, un état de vacance et d'inaction ; chaque événement, quand son rôle avait pris fin, se rangeait sagement, de lui-même, dans une boîte et devenait événement honoraire : tant on a de la peine à imaginer le néant. Maintenant, je savais : les choses sont tout entières ce qu'elles paraissent – et derrières elles... il n'y a rien. »
« Mais devant cette grosse patte rugueuse, ni l'ignorance ni le savoir n'avaient d'importance : le monde des explications et des raisons n'est pas celui de l'existence. »
« Exister, c'est être là, simplement ; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. Il y a des gens, je crois, qui ont compris ça. Seulement ils ont essayé de surmonter cette contingence en inventant un être nécessaire et cause de soi. Or aucun être nécessaire ne peut expliquer l'existence : la contingence n'est pas un faux-semblant, une apparence qu'on peut dissiper ; c'est l'absolu, par conséquent la gratuité parfaite. Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi-même. Quand il arrive qu'on s'en rende compte, ça vous tourne le coeur et tout se met à flotter, comme l'autre soir, au Rendez-vous des Cheminots : voilà la Nausée ; voilà ce que les Salauds – ceux du Coteau Vert et les autres – essaient de se cacher avec leur idée de droit. Mais quel pauvre mensonge : personne n'a le droit ; ils sont entièrement gratuits, comme les autres hommes, ils n'arrivent pas à ne pas se sentir de trop. Et en eux-mêmes, secrètement, ils sont trop, c'est-à-dire amorphes et vagues, tristes. »
« L'existence n'est pas quelque chose qui se laisse penser de loin : il faut que ça vous envahisse brusquement, que ça arrête sur vous, que ça pèse lourd sur votre coeur comme une grosse bête immobile – ou alors il n'y a plus rien du tout. »
« Tout existant naît sans raison, se prolonge par faiblesse et meurt par rencontre. Je me laissai aller en arrière et je fermai les paupières. Mais les images, aussitôt alertées, bondirent et vinrent remplir d'existences mes yeux clos : l'existence est un plein que l'homme ne peut quitter. »
(Extrait de "La Nausée" de Jean-Paul Sartre)
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02/10/2012
Postface... Pascal Quignard
"Tout mythe explique une situation actuelle par le renversement d'une situation antérieure. Tout à coup quelque chose désarçonne l'âme dans le corps. Tout à coup un amour renverse le cours de notre vie. Tout à coup une mort imprévue fait basculer l'ordre du monde et surtout celui du passé car le temps est continûment neuf. Le temps est de plus en plus neuf. Il afflue sans cesse directement de l'origine. Il faut retraverser la détresse originaire autant de fois qu'on veut revivre."
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26/08/2012
Ultime Espoir de L'Humanité... de Cristina Fdejesus
Ultime Espoir de L'Humanité : Chapitre 3 : Révélation
"L'ultime espoir de l'humanité" par Cristina F.D.Jesus - paru aux Editions Kirographaires.
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30/03/2012
D'un corps à l'autre... (Chapitre 3... 17)
Chapitre 3 "Au coeur des choses"... (17)
J’attendais de sa part (le coeur) qu’il me dise plus de choses, il se ferma dans un mutisme peu à collaborer à un dialogue constructif et intelligent. Cette attitude était le reflet d’un coeur sensible mais étrangement absent. Je ne renonçais pas, cependant, à cesser de l’interroger pour parvenir à mes fins. Les palpitations s’accéléraient à chacune des émotions ressenties, les viscères se contractaient ainsi que le sang irrigué arrivait et activait ce muscle comme une pompe à injection. Tout ce phénomène me glissa petit à petit dans une somnolence et dans un voyage quasi onirique dont je vais vous narrer le début...
Vous souvenez-vous de ce poème de Rimbaud « Le Bateau ivre », de ces premiers vers...
« Comme je descendais des fleuves impassibles, je me sentis plus guidé par les haleurs... » Partons dans le rêve...
...Sous des paradis grimaçants, elles débordaient de sources multicolores, propageant des gènes aux fortes odeurs d’encens, de cinnamomes, de myrrhes. De belles naïades vêtues de dentelles transparentes, le sexe offert à la contemplation ayant pour seul langage leur corps, délivraient une sensualité suave et émouvante. La beauté émanant de cette enveloppe corporelle ne délivrait aucun des messages que j’espérais ; de déchiffrables qui puissent m’éclairer l’esprit.
— J’ai une question.
— Oui, si tu veux...
— Tu disais : « que ce qui primait dans la relation entre ces deux êtres (l’homme et la femme) n’était que purement sexuel avec une autre petite variante ».
— Tu peux t’expliquer ?
— L’attachement à l’autre n’est que purement sexuel et aussi matériel, je veux dire par là que la femme et l’homme vivent ensemble pour des commodités bassement sexuelles et matérielles. L’amour qu’ils pensent vivre n’est que le pur produit de leurs jeux de séduction, qu’ils ne sont là que pour eux, qu’ils vivent le plus souvent ce que l’autre apporte sur le plan sexuel et matériel, qu’ils pensent plus à leur intérêt personnel qu’à celui de leur partenaire.
— Et l’amour dans tout cela ?
— L’amour existe, mais il reste figé dans nos têtes, perdu dans nos rêves, nos fantasmes, nos désirs... il est à l’état latent, il ne demande qu’à naître, à éclore, à vivre dans nos cellules, à vibrer dans nos coeurs. Sa faculté à procréer, à rendre vivant l’humain timoré que nous sommes est énorme. Sa force est à l’origine de notre monde ; le big-bang est né de l’amour... j’y crois fortement. La mutation sera génétique, certes, mais elle sera aussi mentale. L’humain évoluera par ses gènes, mais il faudra que l’homme plonge en lui, qu’il regarde en sa propre personne. Il faudra qu’il sache comprendre la cartographie de l’amour, à en savoir le mécanisme, le fonctionnement. Dès lors qu’il aura compris qu’il oublie tout et laisse son corps ingurgiter ces aliments-là, la digestion se fera naturellement et il retrouvera son état originel. L’amour, pour moi, est un don de soi.
— Et toi as-tu connu l’amour ?
— Non, il reste bloqué en moi comme la plupart des êtres qui nous entourent.
— Tu as d’autres questions à me poser ?
— Non.
— Alors on y va dans ce corps ?
— Oh oui !
("D'un corps à l'autre" de Franck Roy - Ed. "Pays d'Herbes" - 2006)
à suivre...
02:57 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, roy, extrait, littérature, écrivain, femme, intérieur, corps, comprendre
27/02/2012
Le roi n'a pas sommeil...
"Ce que personne n'a jamais su, ce mystère dont on ne parlait pas le dimanche après le match, cette sensation que les vieilles tentaient de décortiquer le soir, enfouies sous les draps, cette horreur planquée derrière chaque phrase, chaque geste, couverte par les capsules de soda, tachée par la moutarde des hots-dogs vendus avant les concerts ; cette peur insupportable, étouffée par les familles, les chauffeurs de bus et les prostituées, ce que personne n'a pu savoir, c'est ce que Thomas avait ressenti quand le flic aux cheveux gras lui avait passé les bracelets, en serrant si fort son poignet que le sang avait giclé sur la manche de sa chemise."
La sobriété du style de Cécile Coulon - où explosent soudain les métaphores - magnifie l'âpreté des jours, communique une sensation de paix, de beauté indomptable, d'indicible mélancolie.
Méfiez-vous des enfants sages, écrit par une jeune fille de vingt ans, avait plus impressionné les lecteurs. Ils seronent éblouis par "Le roi n'a pas sommeil".
04:05 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cécile coulon, roman, écrivain, auteure, littérature, histoire, découverte
25/01/2011
"Evéna"... le tout nouveau roman de P. Rocher
Son décalage de départ et le discrédit qui est le sien d'abord, ne durent pas. Peu à peu, Evéna est adoptée par cette culture d'accueil Maugeoise. Elle chante à la "façon de l'Univers" et parvient à faire résonner sa voix au diapason du Monde.
Africaine... Américaine, puis Française, elle s'éveille un jour au don d'elle-même pour le meilleur et pour les autres. Les Mauges qui l'accueillent d'abord avec rudesse, deviennent ensuite ce territoire où Evéna peut canaliser une force intérieure partageable par toutes les cultures.
Elle pourrait pratiquer des talents de guérisseuse. Elle est chanteuse.
C'est alors qu'elle comprend que sa voix peur prendre des accents universels dès lors qu'elle porte de l'amour et de l'énergie positive en elle.
Un morceau de blues peut devenir des moments d'exaltation, de salut spirituel.
Sa capacité à endosser le sensible et la souffrance la rendent ainsi chaman en dehors de son pays d'origine car son aura est grande, et, il lui faut accomplir le grand acte pour son frère et pour elle-même, accepter de parcourir tout le chemin afin de découvrir sa vocation profonde.
(Postface du Roman de Philippe Rocher "Evéna" aux Editions "Pays d'Herbes" - 12 Euros)
Vient de Paraître.
08:28 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, littérature, evéna, fille, maugeoise, rocher, pays d'herbes
29/12/2010
La petite note de Franck ... (28)
Hier je vous faisais découvrir sur France Inter la très bonne émission autour des émotions "Sur les épaules de Darwin"... aujourd'hui j'ai une envie irrésistible de vous parler d'un ami poète qui vient de sortir aux Editions "Echo Optique" (petite maison d'édition à compte d'éditeur du bocage Vendéen, année de création 1989)...
"TERRE D'ENVOL", est un très bel ouvrage dont je veux vous faire découvrir les textes (très bon titre au demeurant). Je viens d'en terminer la lecture et je dois dire que c'est un beau et bon recueil avec une préface soignée de Bernard Grasset. Je veux être, avant tout, élogieux pour ces poèmes car il sont... musicaux, sensibles et d'une humanité troublante, chaque mot est pesé et à sa place ; chaque respiration entre chaque vers est savante ; les images d'une beauté sereine. Il y a bien longtemps que je n'ai lu de si beaux poèmes, Thierry Piet (l'auteur) est rentré dans la cour des grands, il est pour moi devenu un poète essentiel par ce recueil (qui à mon avis est son meilleur et bien loin devant ses précédents) une certaine maturation, assurance d'écriture, une certaine expérience font de ce poète un grand (et je dis cela sans complaisance). Voilà un texte de cet auteur... et je vous le recommande.
L'aube se lève
pour une nouvelle
mise à jour
J'ouvre le Livre :
qu'aurai-je à vivre
qui me soit déjà donné ?
Et le vent
me poussera-t-il
sur la barque du temps Présent ?
Ce soir encore
il viendra signer
le poème de ce jour
comme on signe
un acte de naissance
A nouveau je découvrirai
jusqu'où vont
sa présence et son amour.
(Poème de Thierry Piet "Terre d'Envol" aux Editions "Echo Optique" - Coll. "La Renouée" - 2010)
(Vient de paraître).
Je voulais vous faire part d'un projet de roman (en ce qui me concerne) et dont je vais entamer l'écriture début Janvier, il s'intitule : "DE PROFUNDIS" ; il raconte l'histoire d'une mère et de son fils (petits provinciaux modestes) dans un road-movie dans la région parisienne où ils sont venus à l'enterrement d'une grande tante, leur sort va être confronté à la loi des banlieues et de la jungle urbaine. Leur destin va être menacé, leur foi et conviction ébranlées ; où le rouleau compresseur de la société va les engluer dans la vie d'aujourd'hui avec ses lâchetés, ses arnaques, ses violences et son administration implacable.
UN ROMAN DE FRANCK ROY "DE PROFUNDIS" A PARAITRE ET A SURTOUT ECRIRE, mais je vous en reparlerai sur mon blog...
(Rendez-vous pour une nouvelle petite... de Franck)
04:21 Publié dans Actualités | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poésie, terre d'envol thierry piet, note, franck, de profundis, road-movie, roman, à paraîte, écriture, littérature