images-2.jpegAristote fonde la philia sur le partage de trois objets: l'utilité, le plaisir et la vertu. Il est clair que l'homme qui ne recherche que l'intérêt ou le plaisir à travers l'amitié ne peut être celui qui donne du prix à la connaissance de ce qui est vrai. C'est donc l'homme vertueux qui fait passer la recherche du vrai avant son amitié pour l'ami lui-même vertueux. Reste à expliquer pourquoi il le fait ?

Il faut pour cela se rapporter au livre IX où Aristote base l'amitié pour autrui sur l'amour de l'homme de bien pour lui-même. Ce dernier est en effet content d'être celui qu'il est et précisément d'être celui qui a donné à l'intellect le rôle principal qui lui revient naturellement (1166a 20-25), la conséquence en étant que "les opinions sont chez lui en complet accord entre elles" (10-15). Il s'ensuit que cet amour de soi a comme condition l'élimination perpétuelle de l'erreur; donc, si Platon se trompe, son ami Aristote "persévère dans son être" en corrigeant l'erreur.

Mais pourquoi donc identifier ce souci du vrai à un sacrifice des sentiments amicaux ? Platon ne devrait-il pas tirer de la correction de ses propres erreurs l'idée qu'Aristote, en homme vraiment vertueux, est réellement digne de son amitié ? Certes, mais la découverte par Aristote de l'erreur de Platon va nécessairement entraîner une tentative de réforme de l'esprit de Platon:

"Le propre des gens vertueux, c'est à la fois d'éviter l'erreur pour eux-mêmes et de ne pas la tolérer chez leurs amis." (VIII 10 1159 b)

Dans la mesure en effet où "l'ami est un autre soi-même" (IX 4 1166a) et où l'ami cherche le bien (ici la vertu) de son ami, celui qui est éclairé doit ouvrir les yeux de celui qui ne l'est pas sur ses erreurs et donc sur son infériorité, au moins passagère, en termes d'intellect.

Il faut maintenant analyser la conséquence chez Platon de la réforme de son entendement par Aristote, le premier ayant pris alors conscience qu'il n'est pas aussi vertueux que le second. Or, Aristote a longuement étudié cette situation déséquilibrée où l'un des deux amis reçoit plus qu'il ne peut donner ( peu importe qu'il s'agisse de plaisir, d'utilité ou de vertu). Sa conclusion est que, l'égalité étant essentielle à l'amitié, "la partie défavorisée réalisera cette égalité en fournissant en retour un avantage proportionné à la supériorité, quelle qu'elle soit, de l'autre partie." (VIII 15 1162b).

On peut donc conclure que si j'aime la vérité plus que je n'aime Platon, celui-ci doit s'aimer suffisamment pour reconnaître que j'ai eu raison de lui préférer la vérité, ce qui sous peu m'amènera à dire: "Amicus Plato et amica veritas"...