Le Fonds monétaire international (FMI) a récemment reconnu qu'il avait considérablement sous-estimé les dommages que l'austérité aurait provoqués sur les taux de croissance de l'Union européenne (UE). Cet aveu tardif met en évidence le caractère autodestructeur des recettes "orthodoxes" pour solutionnerles causes de la crise de la dette qui a suivi le crash financier de 2008-2009.
La théorie conventionnelle suggère qu'un pays - ou qu'un groupe de pays - qui consolide individuellement ses finances aura des taux d'intérêt plus bas, une monnaie plus faible et une position commerciale améliorée.
Mais, parce que cela ne peut pas se produire pour toutes les grandes économies simultanément - l'austérité d'un pays (ou d'un groupe de pays) implique une demande plus faible pour les produits des autres pays - de telles politiques finissent par conduire à des situations de protectionnisme. C'est cette dynamique - contre laquelle l'économiste britannique John Maynard Keynes (1883-1946) s'est battu - qui a rendu si profonde la Grande Dépression des années 1930.
INSUFFISANCE DE LA DEMANDE PRIVÉE
Aujourd'hui, la situation est aggravée par une insuffisance de la demande privée dans les économies avancées - en particulier de la consommation des ménages - qui ne permet pas de compenser les coupes budgétaires découlant des mesures d'austérité des Etats.
En outre, les grandes économies avancées, comme les Etats-Unis, l'Allemagne et le Japon, font face à des problèmes budgétaires de plus long terme à cause du vieillissement de la population ou d'Etats providence surdimensionnés, ce qui limite leur capacité à contribuer à la gestion de la demande.
Les initiatives récentes visant à assouplir la politique monétaire ont été un pas dans la bonne direction, mais, jusqu'à présent, elles n'ont pas semblé pouvoirchanger fondamentalement les choses.
Pour que la demande intérieure agisse en tant que moteur de la croissance, les politiques devraient transférer des ressources de l'investissement vers la consommation. Bien que les montants requis soient énormes, ils doivent être atteints si l'on veut éviter une longue période de croissance faible, de chômage élevé et de baisse du niveau de vie pour les plus pauvres.
La coordination internationale des politiques économiques devrait être renforcée pour faire face efficacement aux changements d'une telle ampleur. Il est absolument évident que l'austérité et les réformes domestiques ne sont pas suffisantes pour tirer la périphérie de la zone euro hors de la récession profonde dans laquelle elle se trouve.
UN BON BAROMÈTRE
La prise de conscience de l'échec des politiques actuelles est à l'origine du mécontentement social, de troubles civils et d'une instabilité politique croissante ; les élections récentes en Italie et la résistance de la population grecque aux efforts de réforme entrepris par Athènes sont, en la matière, un bon baromètre.
Ramener les économies périphériques de la zone euro sur le chemin de la croissance nécessite, plus que des réformes structurelles et un assainissement budgétaire, une réforme substantielle du système de gouvernance économique de l'union monétaire, en vue de rétablir la stabilité financière, de réduire les coûts d'emprunt et d'encourager la demande extérieure afin de compenser les effets de l'austérité.
Réformer la gouvernance implique d'importants progrès vers l'unification économique : centraliser la dette européenne par le biais des euro-obligations,mobiliser des fonds de secours suffisants permettant à la Banque centrale européenne (BCE) d'intervenir sur les marchés obligataires primaires, et établir à la fois une union fiscale et une union bancaire.
Il s'agit d'un défi de taille, compte tenu de la réticence de la plupart des Etats membres de l'UE à céder des compétences aux institutions européennes. Mais l'Europe doit s'engager de façon plus décidée dans cette direction. Dans le cas contraire, la spéculation sur les dettes nationales persistera, maintenant les coûts d'emprunt des pays de la zone euro à des niveaux incompatibles avec un soutien à la reprise économique.
En ce qui concerne la demande extérieure, il est peu probable que l'aide intra-européenne, sous la forme des politiques de relance dans les économies les plus fortes, s'avère suffisante, en raison, surtout, des conditions financières et politiques qui prévalent en Allemagne.
Un plan Marshall , mobilisant des ressources budgétaires de l'UE et des prêts supplémentaires par la Banque européenne d'investissement pour financer des projets dans les pays les plus faibles, pourrait être une alternative, mais elle manque de soutien politique.
SEULS LES PAYS ÉMERGENTS
A l'échelle mondiale, ni les Etats-Unis ni le Japon, ne sont en mesure d'apporterun stimulus externe important. Seuls les pays émergents pourraient doper la demande mondiale grâce à un effort coordonné visant à stimuler la consommation intérieure, qui, elle-même, dynamiserait les investissements.
En d'autres termes, un "New Deal" mondial semble être nécessaire. Les économies avancées devraient promouvoir des réformes structurelles visant àrenforcer la productivité. La zone euro devrait consolider son union monétaire. Quant aux économies émergentes et en développement, elles devraient soutenirles sources intérieures de croissance.
Pour qu'un tel accord soit possible, la coordination de la politique internationale par le G20 devrait être renforcée par la création d'un secrétariat permanent chargé defaire des propositions et des recommandations concernant les évolutions macroéconomiques et financières. Ce secrétariat devrait coopérer activement avec le FMI pour bénéficier de son analyse, notamment en ce qui concerne les taux de change.
Par ailleurs, la réforme financière mondiale doit avancer à un rythme plus rapide. Le secteur financier a besoin d'une réglementation plus stricte, d'une supervision renforcée et de mécanismes de résolution cohérents au niveau international afin de faire face aux problèmes posés par les très grandes institutions mondiales considérées comme trop importantes (ou trop complexes) pour faire faillite.
Enfin, un nouveau pacte commercial - peut-être, mais pas nécessairement, au sein du Cycle de Doha - est nécessaire pour assurer l'accès des grandes puissances du commerce mondial aux marchés étrangers. Cela est essentiel pourinspirer confiance aux pays asiatiques, qui pourraient alors se convaincre qu'une stimulation de la demande intérieure sert leurs intérêts. En outre, la libéralisation du commerce permettra d'augmenter la confiance des consommateurs dans le monde entier.
Le moment est venu pour un nouvel accord global destiné à rééquilibrer l'économie mondiale afin de la ramener sur le chemin d'une croissance forte et régulière (traduit de l'anglais par Timothée Demont. © Project Syndicate).