Article écrit par Jean-Mi.
Dans la série des romans adaptés en films, aujourd’hui : La rivière du sixième jour de Norman Maclean, adapté par Robert Redford en 1993 sous le titre Et au milieu coule une rivière.
Pour mémoire, la précédente mention de livre adapté en film, c’était pour Légendes d’automne dans l’article consacré à Jim Harrison. Le film de Edward Zwick avait donné autre chose que ce à quoi pouvait s’attendre le lecteur fan de Harrison. Aujourd’hui, le film de Redford laisse un avis sensiblement différent.
Rappelons d’abord en quelques lignes, les similitudes de ces deux histoires, avec lesquelles il serait aisé d’ajouter L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux ; sans doute en parlerons nous un autre jour. Légendes d’automne et La rivière du Sixième jour ont certains points de ressemblance qu’il est intéressant d’énumérer.
Tout d’abord, le lieu commun aux deux textes : le Montana. Légendes d’automne se déroule près de la frontière nord de l’état, quand La rivière du Sixième jour évoque Missoula, Helena, Wolf Creek, des villes du centre de l’état.
Dans chacun des deux ouvrages, la nature joue son propre rôle. Au coeur de l’intrigue, et jusqu’au titre pour La rivière du Sixième jour, la nature est l’un des principaux protagonistes. Nous l’avions déjà remarqué dans l’oeuvre de Jim Harrison et de beaucoup des auteurs des écrivains du Montana, reconnus sous l’expression Montana Connection, ou à tort, Ecole du Montana, dont Harrison et Maclean font partie.
L’époque est commune à Légendes d’automne et à La rivière du Sixième jour. L’entre-deux-guerres. Légendes d’automne commence avec le départ des trois frères Ludlow pour la Première guerre mondiale, et termine, en gros, entre la fin de la Prohibition et les années 70, à l’heure où Harrison rédigeait sa nouvelle. Dans La rivière du Sixième jour, l’action se déroule dans les années 30, mais la narration évoque également le passé et le « futur », dans les années 60, à l’heure où l’auteur regroupe ses souvenirs pour les coucher sur papier.
Enfin, les deux films convoquaient Brad Pitt dans l’un des rôles principaux.
J’ai toujours eu du mal à définir le film Et au milieu coule une rivière. Entré dans mon panthéon des films « fleur bleue » dès mon jeune âge, avec Légendes d’automne justement, mais aussi Les enfants du marais (entre autre adaptation de roman, mais je m’égare), Et au milieu coule une rivière a longtemps été un film que j’ai aimé voir et revoir, même si je devais en passer par la VF pour cela. Je ne crois pas me planter en disant que c’est un beau film, mais que le roman dont il est adapté est tout simplement magnifique.
Revenons à l’histoire. Norman Maclean rassemble ses souvenirs. Au début du récit il narre la vie de famille, l’enfance, leur père pasteur presbytérien très « collet monté », l’apprentissage de la vie et l’amour à travers les prismes de la pêche à la mouche et de la religion.
Ainsi l’illustre ce court extrait du début du récit : « Il [le père] nous avait expliqué, à mon frère et à moi, que les disciples de Jésus étaient tous des pêcheurs, nous laissant entendre – ce dont nous étions intimement persuadés tous les deux – que les meilleurs pêcheurs du lac de Tibériade étaient tous des pêcheurs à la mouche, et que Jean, le disciple préféré, pêchait à la mouche sèche. »
Au fil de la lecture, les souvenirs de Maclean se concentrent progressivement sur ce qui a fait le drame de sa vie et de celle de ses parents, la mort de son frère Paul. Il ne l’aborde pas frontalement, mais tourne autour du pot pendant un moment, y faisant allusion et, enfin, l’annonçant, vers le milieu du récit. Le reste de l’histoire n’est plus tendu que vers les derniers moments du narrateur avec son frère Paul.
Ce qui au début n’était montré que comme un simple livre de souvenirs, aborde en fait la question de la perte et de la culpabilité face à la mort d’un proche. Cette question entête l’écrivain pendant les dizaines d’années séparant le drame de la rédaction du livre, et son père souffrant lui aussi d’être hanté. Ce livre est comme un carnet de deuil ; après l’écriture de son trauma, il pourra reprendre une vie normale, ou, réconcilié avec lui-même, il pourra enfin, à son tour, mourir, apaisé.
C’est un court roman magnifique. En-dehors des détails techniques liés à la pratique de la pêche à la mouche, pratique à laquelle je ne suis pas familier, l’expression des sentiments et des émotions du narrateur est très bien décrite. Dans le film, cette voix-off entêtante, du début à la fin, reprend le texte de l’écrivain et module un temps pour les actions et un temps pour les dialogues.
La rivière du Sixième jour de Norman Maclean, et aussi : Montana 1919 et La part du feu, tous des souvenirs de l’écrivain, tous chez Rivages, et en poche.
Une fois prochaine, je causerai d’un autre auteur de la Montana Connection, et pas des moindres : James Crumley.